.Omar Victor Diop :Galerie Magnin-A

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La série Despora figure des personnalités africaines, hommes brillants et talentueux constituant une diaspora sur tous les continents. Les cours d'histoire que l'on suivait à l'école nous montraient des guerriers luttant contre la colonisation et mourant en héros. Bien que je sois respectueux de la mémoire de ces héros, ils appartiennent à un mythe national. J'aurais aimé que l'on me montre aussi Jean-Baptiste Belley, Frederick Douglass ou Don Miguel de Castro. C'est une façon d'initier notre regard sur la vitalité et le rayonnement que les africains ont pu et peuvent encore communiquer aux autres. Ces hommes sont les exemples de la réussite africaine, de la connaissance raffinée et mise à l'épreuve du monde. Je pense aussi au français noir d'aujourd'hui qui gagnerait à voir le révolutionnaire Jean Baptiste Belley dans un manuel d'histoire. Il me semble, oui, que la République offre à chacun la possibilité de savoir toutes les histoires qui ont conflué jusqu'à elle. Ce serait dommage qu'aillent à l'oubli leurs vies et leurs récits, parfois tragiques. Le plus étonnant c'est que tout est là : le tableau de Belley est à Versailles, je suis moi-même né à trois kilomètres où naquit Belley. C'est encore un appel à la curiosité sans cesse renouvelée pour les lieux que nous habitons, et pour les hommes qui les ont habités avant nous. Au départ, je faisais de simples recherches pour améliorer ma technique. Je me trouvais à Malaga où j'étudiais la peinture d'un Velasquez, sa traduction picturale de la lumière. J'éprouvais avec tendresse l'harmonie des couleurs, la clémence du soleil sur une joue ou sur un dos nu; et je me demandais : "Pourrais-je faire cela avec la photo ?". Puisque mon portfolio est en très grande partie composé de peaux noires, j'en cherchais des exemples dans la peinture. Je tombai sur le Juan de Pareja de Velazquez. Son histoire, celle d'un esclave bientôt affranchi par le peintre, me bouleversa. Je découvris peu à peu un véritable panthéon d'hommes remarquables dispersés à travers toute l'Europe. Pour la première fois je choisissais l'autoportrait - je n'avais jamais osé ! -, et prêtant mon corps à ses âmes, j'effectuais, personnage après personnage, une marche solennelle, un pélerinage sur le chemin de ces illustres africains.

 

 

 

Cette seconde série contrebalance la première. Après les identités africaines singulières, l'identité collective de l'homme et de la femme noirs, Liberty est ce chapitre qui honore les révoltes contre l'oppression et l'exploitation que le peuple noir a connues, de l'esclavage en Orient aux drames récents qui déclenchèrent le mouvement Black Lives Matter. Ce trait d'union entre l'Afrique, l'Europe et l'Amérique rappelle que la liberté se conjugue au présent. Elle n'attend pas, elle n'espère pas. Celles et ceux qui ont subi la violence systémique, ces femmes et ces hommes regardent les spectateurs à travers l'objectif, et semblent leur dire : "Pas de liberté sans justice". En convoquant cette chronologie universelle de la protestation noire, je voulais que l'on se souvienne, non pas pour revendiquer ou pour se lamenter, mais pour s'unir. Connaître les conditions dans lesquelles ont vécu ces hommes et ces femmes, tels que les cheminots du Dakar Niger ou la paysanne Aline Sitoé Diatta c'est considérer ces vies, c'est dire qu'elles comptent C'est pourquoi d'ailleurs, ces photographies peuvent paraître plus austères. Beaucoup se joue dans la ligne de regard, tantôt hors champ, tantôt frontale. Je ne cherche pas à entrer dans des particularismes; certes les circonstances changent selon le lieu et l'époque, et il serait hâtif de parler d' "une" identité quand les cultures varient d'un pays à l'autre, mais cette série expose le puzzle des luttes et l'écrasement d'une puissance, parfois visible, parfois pernicieuse, sur le corps d'une personne noire, d'où qu'elle soit.

 

 

 

Si un saint devait descendre sur terre et nous parler de l'avenir, il parlerait à tous les hommes, et il serait très éloquent, n'est-ce pas ? Dans ce troisième chapitre, Allégoria, l'humanité se présente environnée d'espèces florales et animales bientôt ou déjà disparues. Cette humanité devant protéger la vie, soucieuse de ne pas voir la biodiversité devenir un souvenir consultable dans les manuels d'histoire naturelle, est bel et bien le point culminant, l'ultime respect que nous devons témoigner au vivant. Dans ma toute première série Le Futur du beau, j'imaginais une sorte de Vogue en 2112, un magazine mode et recyclage trouvé dans un kiosque Lagos. C'était l'enfance de l'art. En fait, je ne voulais pas accuser di- rectement ni accabler de discours sur la question écologique. Aujourd'hui, je souhaite impliquer davantage le spectateur, l'interroger, lui rappeler que devant la nature, chacun a sa responsabilité. L'Afrique est aussi concernée que les autres continents. Dans cette nouvelle conversation, j'aspire à nous voir participer et prendre les devants dans le mouvement environnemental mondial. Le jardin symbolique qui environne mon allégorie ne connait pas de frontières, et peut tout aussi bien mêler des parties différentes de la planète que des éléments ou des saisons contraires. Il appartient au spectateur de déchiffrer le langage de l'allégorie, de saisir les codes, les valeurs et les sens que revêtent une abeille, un dodo ou un roseau. Qu'éprouvez-vous en voyant une biche dans une ambiance portuaire, accompagnée de mouettes, de coraux et de poissons ? Le dérèglement climatique ? Un dialogue au sein de la faune ? Tout comme pour un texte prophétique, le lecteur fait son interprétation. J'ai voulu donner une dignité religieuse à mon allégorie, un recueillement parfois apaisé, tel saint François d'Assise veillant sur les espèces, parfois joueur comme Orphée enchantant la nature.

 

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